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Samedi 15 avril 2023, à 22h55
Et finalement, l'arrêt.

Je ne sais pas quoi penser de ce troisième arrêt depuis quatre ans. 2019. 2021. 2023. Toujours à la même période de l'année : à la sortie de l'hiver ou au début du printemps. Avec toujours le même KO technique. J'ai la sensation de ne plus avoir d'énergie, de ne plus pouvoir continuer d'avancer dans la même direction sans faire une pause. J'ai les intestins tordus, le coeur lourd, la tête embuée. Je ne sais plus où je vais, j'ai la sensation d'être perdue. Et à chaque fois, je sais que des éléments du passé remontent et que j'ai besoin de faire le tri.

Cette année, le hasard a fait que mon père était présent quelques jours après mon arrêt. Au milieu des travaux de la maison (que l'on a réussi à faire, en jonglant avec la fatigue) j'en ai profité pour lui poser des questions sur notre famille, sur mon enfance. J'ai la sensation de devoir comprendre ce qui s'est passé, les raisons pour lesquelles je me retrouve dans cet état pour la troisième fois et le lien avec la manière dont j'ai grandi.

Ca ne peut pas être un hasard si je m'essouffle. Il faut que je comprenne quelque chose, il faut certainement que je change quelque chose.

Instinctivement, j'ai envie de résumer ça en "vivre, enfin".

Peut-être que c'est un peu simpliste. "Oser être moi-même", c'est mieux ?

Quand j'ai annoncé à mon directeur général il y a deux semaines que j'allais voir un médecin pour demander un arrêt, il m'a dit cette phrase qu'il m'a déjà dite à une ou deux reprises, et qui me surprend toujours un peu par sa pertinence. "Prends le temps dont tu as besoin pour te reposer. On voit que tu es fatiguée... mais tu n'es plus la même personne qu'il y a quatre ans. J'ai l'impression de voir enfin la vraie Florence, avant ton burn-out c'est un peu comme si tu avais un masque."

Ca m'étonne d'être aussi lisible auprès d'un collègue, et en même temps ça me fait plaisir. Me défaire de mon masque, c'est le travail que j'ai fait en thérapie avec Sarah. Et il était sacrément accroché.

Ca me rappelle une autre conversation, il y a quelques semaines, avec une autre personne que je voyais pour la première fois.

"Tu connais le livre sur les cinq blessures ?
- Oui pourquoi ?
- Et tu sais quelle blessure tu as, toi ?
- Euh, je n'ai pas lu dans le détail, mais a priori je dirais abandon... et peut-être rejet...
- Oh oui, carrément, ça se sent, toi tu as clairement une blessure de rejet."

Elle m'a bluffée, j'ai cherché à comprendre.

"Ca se sent dans ta voix, et même dans ton physique. Les personnes qui ont une blessure de rejet ont tendance à vouloir s'effacer. Même dans leur physique, ils sont souvent très fins, comme s'ils voulaient disparaître."

Disparaître.
Tout court, ou derrière un masque.

J'ai en mémoire plusieurs événements dans mon enfance où j'ai voulu me faire toute petite, pour ne pas qu'on me remarque. En haut de la liste : un moment dont je pensais être la seule à me souvenir et dont mon père se souvient apparemment. J'avais sept ans environ. Toutes mes "copines" de classe sont venues me voir à la récré pour me dire qu'elles ne voulaient plus me parler et qu'elles ne voulaient plus être mes copines. J'étais trop sérieuse, trop intello, je ne sais plus exactement.

"Oui, je me souviens de cet événement, me dit mon père.
- C'est quelque chose qui m'a énormément marquée. J'ai cette image de moi recroquevillée seule dans un coin du préau de l'école, à me sentir hyper triste, mais je serais incapable de dire si ça a duré trois jours ou trois mois. J'aimerais comprendre ce qui s'est passé, tu te souviens combien de temps ça a duré ?
- Non, je ne sais pas... ça n'a pas duré très longtemps a priori, tu as retrouvé des copines après, comme J. et N.
- Mais ça c'était l'année d'après, voire même plusieurs années après. Je serais restée tout le reste de l'année toute seule sous le préau ?
- Je ne sais pas. Je sais en tous cas que tu avais été très marquée, tu pleurais beaucoup, tu étais dans tous tes états."

Il me regarde, sans comprendre le véritable impact que ça a eu sur moi, mais suggérant quand même que j'aille éventuellement faire de l'EMDR ou une autre thérapie si ça m'a créé un trauma.

On parle également de la famille, du suicide de ma mère et du suicide de son propre grand-père, deux générations plus tôt, que j'ai appris il y a onze ans et dont on ne m'avait jamais parlé auparavant. J'envisage d'aller voir un spécialiste des constellations familiales pour voir s'il se cache quelque chose derrière ce schéma répétitif à travers les générations. Sans réellement savoir à quoi m'attendre (ni quoi croire), j'ai l'impression qu'il y a un noeud à défaire, un truc qui coince. J'ai la sensation de devoir sortir les squelettes des placards, d'aller bousculer les non-dits dans la famille. Il y a un truc qui moisit depuis plusieurs générations et ça m'empêche de respirer.

Peut-être que je me trompe, mais ça ne coûte rien de poser des questions. A défaut de sortir les vieux squelettes des placards, ça aurait au moins le bénéfice de me permettre de m'exprimer, moi, de continuer à briser le silence et lever les masques. Je ne suis pas la fille parfaite à qui tout réussit. Je suis à bout de souffle.

Je ne sais pas encore comment je vais m'y prendre pour investiguer ces sujets. Ca me fait un peu peur de déranger les membres de ma famille, de leur faire du mal ou qu'on me trouve bizarre (qu'on me rejette ?), mais plantons-ça là et voyons voir ce qui pousse.

En attendant, je ne sais pas encore si je suis prête à retourner travailler la semaine prochaine. J'ai rendez-vous avec le médecin mardi et avec lui aussi, j'ai envie de jouer franc-jeu et lui expliquer au maximum ma situation pour prendre une décision ensemble. Il y a eu tellement de sujets perso cette année, je ne sais pas vraiment quelle part de responsabilité donner au pro dans mon épuisement. Et en même temps, je sais que ca fait plusieurs années que je ressens l'envie d'autres horizons.

2023. Re-re-reboot.