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Vendredi 27 avril 2018, à 13h04
Je connais Madame D. depuis longtemps. Elle est venue frapper à ma porte très tôt à l'école primaire et elle n'est jamais vraiment partie depuis. Madame D. c'est mon petit nom à moi pour la dépression. C'est peut-être un peu bizarre de la personnifier comme ça mais ça m'aide à mieux l'identifier, à la voir comme une "personne" extérieure et pas comme une partie de moi ou de mes proches qu'on ne pourrait pas combattre.
Avec V., on a pris une habitude légèrement différente. On a donné deux noms différents au vrai V. normal ("Good V."), et celui atteint de dépression qui voit tout en noir ("Bad V.").

Dans les deux cas, l'idée est la même : c'est de se dire que la version dépressive de qui on est n'est pas la "vraie" version de nous-même. Le "vrai nous-même" ne verrait pas la vie aussi noire, ne se sentirait pas réellement aussi vide et seul... Il faut réussir à se dire qu'il y a deux versions, dont une destructrice, et trouver la force et la volonté de switcher de l'une à l'autre.

A force d'avoir vu la dépression abîmer mon oncle, ma mère, mes amies, V. et moi-même, je commence à bien la connaitre et à prendre pas mal de recul. Il y a deux jours, quand elle a re-brillé dans les yeux de V., il m'a fallu moins de 30 minutes pour la repérer plutôt que de penser qu'il était réellement démotivé, triste et qu'il voulait remettre en question certains choix importants. Je lui ai dit presque en souriant : "hey, I think Bad V. is back ! :)" On a listé les signes de la dépression (c'est presque drôle de voir à quel point ils sont simples à repérer, en fait, quand on prend du recul), je lui ai montré que sa façon de voir les choses n'était pas la même que la veille ou que la semaine précédente et il a réalisé qu'effectivement, il n'était pas vraiment lui-même. Le lendemain au réveil, il était redevenu "Good V.". Il y a quelques mois, ça nous aurait pris plusieurs semaines de faire tout ce cheminement. Prochaine étape : qu'il arrive à le repérer tout seul, sans que j'aie besoin de lui dire ?

C'est drôle à dire mais Madame D. est devenue un peu comme ma meilleure ennemie. Je n'essaye pas de la faire partir à tout prix, j'essaye plutôt de mieux la connaitre. Mon objectif : l'obliger à s'annoncer. Si j'arrive à la faire frapper à la porte, je n'ai pas (trop) de problèmes à la faire rentrer chez moi, l'installer dans un fauteuil, écouter ce qu'elle a à me dire puis la reconduire poliment à la sortie ("merci, vraiment, c'est gentil d'être passée, mais j'ai des choses à faire, à la prochaine !") Quand elle rentre sournoisement, ça devient plus compliqué. Alors je peaufine ma stratégie : mettre tous mes efforts dans le fait de repérer les premiers signes de son arrivée avant qu'elle ne s'installe, chez moi ou chez les autres. Puis profiter au maximum des choses positives pour contrer son influence négative. De cette manière assez innattendue, je n'en veux pas trop à Madame D. de roder dans les parages, parce qu'elle me permet de rester aux aguets, de peser mes réactions à leur juste valeur, et finalement... de mieux profiter de mes émotions et de savoir qui est la "vraie moi".