
"Alors, toujours muette ?"
Après les excuses maladroites du réveil, puis l'inquiétude et l'état concerné de la matinée, il semblait enfin s'être rabattu sur l'arme qu'il connaissait le mieux
Ah, l'humour
Emmitouflée
dans sa couette, le dos tourné à la porte, elle réprima
un sourire. Mais ne dit rien. Surtout ne dit rien. C'était trop bon
Quatre jours sans sentir une seule fois cette petite sensation de légèreté
qui l'envahissait quand l'espace de quelques secondes, tout allait bien
Tout allait bien.
Elle plissa les yeux, remonta la couette jusqu'à ses yeux, respira.
Tout allait bien
Merci, Alexis, merci.
"Bon ben
"
Elle sursauta. L'espace de quelques minutes, déjà loin envolée sur son nuage elle avait failli l'oublier.
"Ben, je vais y aller alors, hein "
Un sentiment de malaise l'envahit alors qu'elle reprenait conscience de la situation. Elle avait du mal à y croire ; il avait réussi à la faire sourire et en retour, elle le laissait partir... et partir désemparé, elle l'entendait à sa voix déçue. Il ne reviendrait plus.
"Non."
Le mot retentit d'abord dans un murmure irréfléchi, un simple réflexe de ne pas tout gâcher. S'il partait, elle savait qu'elle s'en voudrait pendant longtemps, certainement bien trop longtemps.
"Non, reste s'il te plait. " se décida-t-elle à répéter avec plus d'affirmation.
Il ne répondit
rien mais elle devina son air surpris et son sourire satisfait alors qu'il passait
le seuil de la porte en sens inverse. Quelques secondes de silence, puis elle
entendit le son de ses pas qui s'approchaient du lit, pour finalement s'étouffer
et ne laisser place qu'à quelques inspirations retenues
et sa voix,
peut-être ?
Elle resta silencieuse, guettant la moindre interruption de son souffle qui
trahirait une prise de parole. Parler en premier, devoir lui expliquer ce qu'elle
avait pu laisser sous-entendre la veille au soir à la plage, prendre
elle-même les reines de la conversation qui allait s'imposer, étaient
au dessus de ses moyens, elle le sentait au plus profond d'elle-même.
Comme une peur incontrôlée d'avoir quelqu'un pour l'écouter,
enfin, alors qu'elle n'attendait que ça depuis des années
Il ne méritait pas ça. Elle le savait, le retenir puis se taire
pour lui laisser la dure tâche de casser le silence, c'était d'une
lâcheté inexprimable, mais elle ne pouvait s'empêcher d'espérer.
Peut-être serait-il plus courageux qu'elle, lui le beau parleur et le
rebelle qui n'avait l'air d'avoir peur de rien ? Elle le souhaitait de tout
cur.
Mais rien.
Un silence pesant qu'elle regrettait d'avoir provoqué tout d'un coup.
Peut-être aurait-elle du se taire et le laisser partir ?
Non
bien sur que non
Clara serra les
dents, certaine que l'autre la regardait maintenant et attendait son premier
moment de faiblesse. Ce moment où elle craquerait et où elle perdrait
la partie.
Un - zéro, Clara, rien n'est perdu ma belle. Tiens bon
Ne la laisse
pas t'atteindre. Pas elle..
Elle plissa les
paupières de toutes ses forces, chassant de sa tête les mots qu'elle
venait d'entendre, ces critiques et ces jugements qui se faisaient de plus en
plus durs à encaisser au fur qu'ils devenaient plus secs, presque banals.
Ne la laisse pas t'atteindre.
Une minute passa, puis deux
Le silence lui pesait, elle la haïssait
tellement.
Trois.
Lassée, elle se retourna d'un coup, abandonnant la partie et s'attendant
à se retrouver face à son sourire narquois, vainqueur. Mais elle
laissa retomber sa tête sur l'oreiller.
Personne.
Rien. Pas même
le droit de mettre une image sur ce visage assassin, juste une sensation de
vide, un reste de douleur invisible au cur, là où on venait
de la poignarder sans même laisser de trace
Un crime parfait en somme. Une de ces blessures qu'elle n'arriverait jamais
à refermer car elles n'existaient pas.
Elle laissa ses paupières se refermer d'elles-mêmes, de désespoir
cette fois. Pleura
Une larme
amère, une seule, qui coula le long de sa joue dans un semi-soupir.
Puis une main au
niveau de sa cuisse. Un toucher rassurant. Une voix.
"Ne dis rien "
Elle frémit. Alexis referma l'étreinte de sa main sur celle de sa sur et la força à la serrer en retour.
"Je ne savais
pas
- Tu ne savais pas quoi ?
- Que tu avais si mal
"
Elle tenta de dégager sa paume de son emprise, mais il la retint.
"Fais moi confiance, s'il te plait "
A nouveau, elle frissonna. Il avait l'air sincère, mais ce qu'il lui demandait était impossible.
"Alexis, je "
Il l'interrompit avant qu'elle n'ait le temps de finir son excuse, trois doigts avancés dans la direction de ses lèvres, dans un geste tendre :
"Non attends,
tu sais quoi ? Oublie ce que je viens de dire, on n'a pas besoin de faire tout
ça
- Faire tout ça quoi ?
- Tout ça, là
toutes ces phrases convenues, ces réactions
à fleur de peau
on n'a pas besoin de tout ça
pas nous."
Il la laissa digérer ses phrases, prendre son temps pour répondre. Après quelques secondes, les lèvres de la jeune femme se virent obligées de reprendre ses paroles en écho :
"T'as raison, pas nous "
Mais fatalement les mots qu'il venait de lui faire prononcer sonnaient faux. Leurs réactions à fleur de peau convenues Comme si en vérité, cachés à l'intérieur d'eux-mêmes, ils sautaient de joie et de soulagement ? Pas nous Pourquoi pas eux ?
"Mais s'il
te plait, ne me demande pas
, commença-t-elle.
-
que tu m'expliques ? Non, je ne te demanderai rien, promis."
Il sourit.
Elle lui retourna son signe de satisfaction complice.
**
"Dis maman, est-ce que quand on s'aime plus, on fait des plus beaux bébés
?"
La jeune femme s'accroupit à la hauteur de sa fille et prit le bout de ses doigts dans ses paumes.
"Pourquoi tu me demandes ça ma puce ? Je t'ai déjà expliqué que pour faire des bébés, il fallait que le papa et la maman s'aiment très très fort tu te souviens ?"
Elle lui sourit, attendrie. Sa petite fille devenait grande
"C'est pour
ça alors qu'à l'école, les autres disent toujours qu'Alexis
et moi, on est des enfants ratés ?"
**
"Papa, je peux te demander quelque chose ?"
L'homme parut surpris mais reposa tout de même la feuille qu'il inspectait
pour porter toute son attention sur sa fille.
Préparée, elle prit son inspiration et allait s'apprêter
à ouvrir la bouche quand elle la referma tout aussi rapidement. Par terre,
elle venait de remarquer plusieurs cartons éventrés qui laissaient
apparaître des dizaines de piles de dossiers, de papiers et de lettres
en tous genres. Sur le bureau derrière lequel son père la regardait
maintenant avec étonnement, quelques cahiers exposaient des pages d'une
écriture griffonnée.
"C'est à qui, ça ?"
Il fit mine de découvrir le carnage qui l'entourait avant de reposer son regard sur elle.
"Oh, des vieux papiers, je fais le tri Tu voulais me demander quelque chose ?" prononça-t-il.
Elle ignora sa question et s'approcha d'un des carnets ouvert en sa direction, attirée comme un aimant vers ce trésor tout juste déterré. Les pages encore flétries, le cur battant, son pirate réalisait la valeur du magot.
"C'est elle qui a écrit ça ?"
Il ne lui répondit pas mais elle connaissait la réponse. Une vague de sentiments s'empara d'elle alors que son index se tendait pour effleurer la fine pellicule d'encre. Elle ne savait pas, elle ne se doutait même pas mais peut-être que ? Elle voulut tourner la page, en savoir plus, pour comprendre, mais le cahier se referma sur ses doigts avant qu'elle n'ait le temps de réagir.
"Tu voulais me demander quelque chose ?" articula l'homme à nouveau.
Elle secoua la tête pour repousser son étonnement et la sensation de curiosité qui venait de l'envahir. Son père tenait le carnet dans ses mains d'un geste protecteur et guettait maintenant le moindre mouvement de ses lèvres.
"Tu voulais me demander quelque chose ?" finit-il par re-répéter d'une voix qui se faisait légèrement agacée.
Ce n'était pas le moment, elle s'en rendait compte. Ca n'avait surtout aucun rapport avec ce qu'elle était venue lui dire.. Peut-être plus tard ? Elle reprit son inspiration, repartit sur sa lancée.
"Oui je en fait, je voulais savoir ça va sûrement te paraître inapproprié, ne m'en veux pas, mais je crois que qu'on a besoin d'en discuter, j'ai besoin que tu me dises "
Il acquiesça d'un signe de tête, désormais impatient.
" Oui ?
- Je voulais savoir
est-ce que vous vous aimiez vraiment, avec maman ?"
La feuille tomba
au sol sous l'effet du choc.
"Comment ?"
Les traits de l'homme
se déformèrent alors qu'il dévisageait sa fille sans comprendre.
"Comment est-ce
que tu oses venir me demander ça maintenant ?
- Réponds moi, je t'en supplie."
Pourtant aucun son ne sortit de sa bouche, et ce silence elle l'avait anticipé.
"S'il te plait
Ca ne devrait pas être si difficile que ça, si tu es sûr
-
mais comment est-ce que tu te permets ? Qui te dit que je ne suis pas
sûr de quoi que ce soit ?
- Alors dis le. S'il te plait, dis le. J'ai besoin de l'entendre de toi, de
tes lèvres."
Il fixa ses yeux, résolu et visiblement furieux.
"Je ne m'attendais pas à ça de toi des autres peut-être, mais pas de toi, tu n'as pas le droit "
Il avait porté ses mains à son ventre et serrait maintenant le carnet d'un poing crispé, un trait de colère imprimé sur les rides de son front.
"Si jamais tu "
Mais elle n'attendit pas la fin de sa phrase pour faire demi-tour et repasser la porte du bureau en sens inverse. D'une voix étranglée, elle se retourna quelques mètres plus loin, les larmes au bord des yeux:
"C'est bon, ne te donne pas trop de mal, tu viens juste de répondre à ma question.."
**
La femme resta interloquée, ses doigts lâchant soudain leur
emprise sur ces deux minuscules poignées d'innocence.
"Qu'est ce que mais qu'est ce que tu viens me raconter là? Ca ne va pas de dire des choses pareilles il ne faut pas dire des bêtises comme ça, tu sais !"
"Maman, pourquoi tu trembles ?"
**
"Tu sais, je
me sens bien là
"
Il la regarda d'un air attendri et reposa sa tête sur la couverture. Elle s'était allongée sur le dos, et avait fermé les yeux dans un signe de plénitude, appuyant les quelques mots qu'elle venait de prononcer.
"J'aimerais
que tu restes
murmura-t-il doucement.
- Que je reste où ?
- Là, ici sur la Côte avec nous
je veux pas que tu repartes
sur Paris. Ca doit bien faire cinq ans qu'on ne te voit plus jamais.
- Et ?
- Et
je sais pas
j'avais une petite sur et je crois qu'elle
me manque
enfin, je
- Tu
?
- Non rien. Je veux que tu restes, c'est tout."
Elle rouvrit les
yeux, ne sachant trop quoi répondre. C'était si soudain, si irréel
si inapproprié venant d'une personne qui ne la connaissait plus qu'à
peine. Allongée face au plafond, les mains croisées sur le ventre,
elle abandonna l'idée de réagir sur le vif et se laissa plutôt
aller à inspecter chaque recoin des murs qui l'encadraient, comme elle
faisait souvent quand elle essayait de retrouver son ancrage avec la réalité.
D'une certaine façon, ça la rassurait : poser son regard sur les
objets qui l'entouraient, et laisser les souvenirs qui y étaient associés
prendre possession de ses pensées... Se laisser rêver tout en préservant
ce lien matériel qui reliait si agréablement les choses aux images
qu'on en gardait.
La silhouette de son frère, qu'elle devinait à ses côtés,
restait silencieuse et c'était tant mieux. Le silence était toujours
propice aux plus simples réalisations.
"Tu crois vraiment que c'est possible ?"
Son regard s'était fixé sur la seule photo familiale qu'arborait encore sa chambre après tant d'années de désertion
"Possible de quoi ?"
Une photo d'un
bonheur agrandi. Alexis, rieur, qui se laissait embrasser dans l'oreille par
sa petite sur et tenait dans ses bras un bébé-risettes tout
juste âgé de quelques mois.
Un chef d'uvre photographique. Du bonheur à l'état pur,
sans aucun doute.
"De rattraper autant d'années perdues.."
Sans attendre sa réponse, elle laissa retomber doucement ses paupières sur une innocence enquelle elle ne croyait plus. A quoi bon de toutes façons ? A quoi bon l'avoir laissée là, cette preuve tellement visible qu'elle en devenait encore plus fausse qu'essayaient-ils de prouver ? que tout allait bien ?
"Il n'y a rien à rattraper, Clara "
Ses mots retentirent d'une voix assurée.
"Il n'y a rien à rattraper, parce que c'est bien connu, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, non ?"
Elle sourit.
**
"Maman
tu pleures ?"
**
"Alexis, je pars."
La jeune fille se tenait face à son frère, les bras croisés dans une expression de sérieux trop exagérée.
"Je quitte la Côte, je pars loin de tout ça, j'ai besoin de changer d'air. Papa et Maman sont d'accord, je monte sur Paris à la rentrée prochaine."
La bouche légèrement entrouverte, le jeune adulte accusa le coup, surpris.
"Quoi ? Mais qu'est ce que tu racontes ? pourquoi tu ne m'as rien dit ?"
Elle ne répondit pas tout de suite et se contenta de jeter un coup d'il autour d'elle : La chambre d'Alexis l'avait toujours fascinée. Sous une lumière feutrée, quelques sculptures aux formes élancées donnaient à la pièce un air de petit temple. Bien sûr, la photo des trois enfants avait résisté au nouvel aménagement de l'adolescent, dans le soucis incontestable de ne pas trop froisser les parents et d'éviter un scandale. "Et où veux-tu qu'on la mette sinon ? elle ne va quand même pas finir à la cave, on vous en a fait tirer chacun un exemplaire, elle est tellement belle !". Bien sûr, il s'était résigné. Il avait ignoré cette incompréhension d'en faire toujours trop, alors qu'ils se voyaient tous les jours et il avait cédé, tout comme elle.
"Tu vois la petite fille sur la photo là ?"
Elle désignait maintenant le cadre d'une main, sans prendre la peine de se tourner vers lui pendant qu'elle lui parlait.
"Je n'ai plus aucune idée de qui elle est j'ai vraiment besoin de partir."
L'enchaînement d'idées ne faisait aucun sens mais elle n'y prêta pas attention. Dans sa tête, la décision était prise un peu trop rapide peut-être, ou pas assez réfléchie, mais déjà bien ancrée et irrévocable.
"Le lycée n'est pas assez bon ici, et tant qu'à ne plus habiter à la maison, autant partir plus loin. A Paris j'aurai mes chances."
Son interlocuteur baissa la tête, visiblement touché.
"Et ils te
laissent partir comme ça ? à seize ans ?
- Ils n'ont pas le choix.
- Bien sûr que si. Tu n'es pas majeure."
Elle devina un ton d'autorité dans sa voix, comme s'il voulait rectifier le trop plein de liberté qu'on lui avait apparemment autorisé.
"C'est ridicule, tu n'as pas le droit de nous laisser comme ça".
Un reproche qu'elle
comprenait malgré elle, de quitter le navire trop tôt alors que
la bataille n'était pas terminée. Souvent quand ils étaient
petits, ils se réfugiaient à la plage et ils jouaient aux gentils
pirates. Larguez les amarres pirate Clara ! Elle se souvenait encore du jour
où Romain avait été assez grand pour les accompagner, un
foulard noué sur l'il gauche, comme dans les dessins animés.
Dix ans plus tard, c'était son grand frère qui la rappelait à
l'ordre : Moussaillon à vos postes !, on n'abandonne pas son équipage
d'une telle façon. Il n'y a pas de Paris qui tienne, si nous devons couler,
nous coulerons tous ensemble. Notre code d'honneur est gravé là,
sur cette photo-trésor : personne ne survivra si les autres succombent.
Elle détourna la tête en souriant.
Evidemment elle en était consciente ; sa décision n'avait rien
de facile. Mais ce n'était pas grave, elle avait envie d'y croire cette
fois-ci : Peut-être qu'avec sa propre voile elle coulerait encore plus
vite et plus profond mais elle avait envie de prendre sa chance, d'essayer de
lui faire prendre le vent. Elle avait tellement besoin de sortir de cet étau...
Et ses parents avaient accepté. Au début ils avaient été
un peu réticents, mais rapidement ils avaient flanché à
l'idée de compromettre la réussite scolaire de leur fille.
Clara réprima un sourire ironique : Les études avant tout, comme
toujours
sans prendre la peine d'imaginer une quelconque autre raison,
bien sûr, car c'était leur façon d'être. Tout allait
pour le mieux
dans le meilleur des mondes.
**
"Maman ?"
Des larmes perlèrent au coin des yeux de la jeune femme alors qu'elle enveloppait sa fille de ses deux bras et appuyait sa tête contre son épaule.
"Mais bien
sûr que je t'aime, ma puce. Maman t'aime très très très
fort, ne l'oublie jamais. Et ne dis plus jamais de choses pareilles, ça
fait mal tu sais
c'est pas bien de faire du mal aux gens.
- Pourquoi ?
- Parce que c'est méchant de faire mal aux gens que tu aimes
Tu
n'as quand même pas envie d'être une méchante petite fille,
hein ma Clara ?"
**
"Tu sais, je n'ai jamais compris pourquoi
"
Les mots la sortirent d'un coup de sa torpeur, et elle se retourna dans son lit pour mieux pouvoir le regarder. Il était toujours là, allongé à ses côtés, tourné vers elle dans une expression d'émerveillement. Elle porta une main à sa figure, remit en place ses quelques mèches rebelles et frictionna ses tempes ; les yeux encore dans le vague, elle avait la nette impression d'être revenue d'un autre monde, un monde qui n'existait plus.
"Hm, compris quoi ?"
Pour toute réponse, Alexis s'empara de la main de sa sur et effleura sa paume du bout des doigts.
"Compris comment on en était arrivés là. Comment t'es partie un jour et jamais revenue comment j'ai eu envie de te suivre mais qu'ils ne m'ont jamais laissé faire." Il hésita puis reprit. "Tu sais, t'es la plus chanceuse dans l'histoire, t'es la seule à avoir eu ce que tu voulais, j'espère que t'en es consciente."
Une accusation à demi-formulée, ou ça en avait tout l'air. Elle s'offusqua et se releva légèrement sur ses coudes.
"Tu m'excuseras
mais on a pas la même vision du bonheur alors
- Je crois que si au contraire, et j'ai du mal à comprendre. Les parents
t'adoraient et t'as pu faire tes propres choix sans qu'ils te mettent des bâtons
dans les roues.
- Parce que tu crois que la chance et le bonheur se limitent à ça
? Ils ne m'adoraient pas, ils adoraient l'image qu'ils se faisaient de moi,
ça n'a rien à voir."
Elle s'arrêta et baissa les yeux, la gorge nouée.
"Elle est morte en ne sachant jamais qui j'étais. Je suis partie sans lui laisser sa chance, et putain ça fait mal, je peux te le dire. Tu ne te rends pas compte."
Il se tut, surpris par tant d'honnêteté qu'il n'attendait plus. Clara porta ses mains à son front. Une vague de sentiments venait de lui monter aux yeux et menaçait dangereusement de s'en échapper. Il ne fallait pas, pas maintenant, pas là
"J'en ai marre Alexis, j'en ai marre "
Elle secoua la tête, plissant les yeux plus fort pour résister à ses bouffées d'humidité. La tête entre les mains, elle mordait sa lèvre inférieure pour réfréner une vague envie de crier. Tout ça, c'était sa faute Elle avait fait une erreur, maintenant elle n'avait pas le droit d'aller se plaindre.
"Je suis désolée, je ne voulais pas "
Mais une main venait de se poser dans le bas de sa nuque et l'empêcha de continuer. Collée contre son torse, elle se débattit, poussant des paumes ce corps qu'elle ne voulait pas, dont elle n'avait pas besoin.
"Non, laisse moi, je "
La tête maintenue contre celle de sa mère, la fillette crispa ses
mâchoires en tentant de se dégager.
"Maman laisse moi.. je veux pas laisse moi tranquille !"
Mais la femme ne répondait pas, bloquant sa fille contre son cur comme si sa vie en dépendait. La fillette poussa un râle d'énervement, un soupir de dégoût pour ce corps qui la retenait prisonnière et la mettait si mal à l'aise.
Une deuxième main vint se poser sur le bas de ses hanches et resserra
son étreinte.
"Ma-maaan !"
Sa voix se fit fragile, stridente. Elle haleta et finit par laisser s'échapper quelques larmes désarmées.
"Maman, lâche moi lâche moi s'il te plait."
Mais la force qui la retenait était trop puissante.
"Tu m'entends ? J'ai pas besoin de ça ! pas besoin de toi "
Elle donna des coups dans les airs tout en sentant autour d'elle le toucher qui se faisait de plus en plus coconnant. Elle frémit sous le contact de sa peau, sentit son corps faiblir
"Je suis là, je suis là "
D'un coup de paume bien placé, elle éloigna l'épaule
intrusive et réussit à se dégager. Elle se retourna vers
sa mère, les yeux en pleurs et le cur révulsé d'un
dégoût qu'elle ne comprenait pas
encore.
"J't'aime pas, c'est toi qui es méchante !"
Trop tôt, les mots résonnèrent dans sa tête à
lui en donner le vertige. Elle essaya de se dégager à nouveau
mais n'y arriva pas. De rage, les doigts agrippés à son dos se
serrèrent autant qu'ils le purent, des larmes coulant désormais
en flots le long de son visage.
Un deuxième coup la libéra entièrement de l'emprise
qui la retenait. Sans réfléchir, elle courut aussi vite que ses
jambes lui permettaient jusqu'à sa chambre et se glissa sous le lit,
tremblante, plaquée contre le sol.
Alors, dans une demi-transe, elle passa les mains autour de ses épaules et recroquevillée dans ses propres bras, elle sanglota
L'étreinte se resserra imperceptiblement, tout juste assez pour qu'il
s'en aperçoive. Elle repositionna sa tête contre l'épaule
de son frère et poussa un dernier souffle de désespoir
Ses
poumons étaient tellement lourds qu'ils semblaient prêts à
l'asphyxier.
"Chut... Je t'aime ma Clara, je suis là."
Alors, dans un instinct de fraternité, enfin, elle s'agrippa à ce corps qui s'offrait à elle et sentit l'étreinte s'intensifier, bercée au rythme de ses propres sanglots. Une chaleur humide s'installa au niveau de son cou, alors que les larmes de son frère se mêlaient aux siennes. Dans un soupir, elle frissonna.
"Alexis, j'ai peur
"
>> Chapitre 5 - Les enfants déraisonnables